Dimanche 10 Août 2003

 

13h27 : ça serait ma fête, ça serait pareil...

Plus grande journée de canicule sur Paris depuis le début des fortes chaleurs... Forcément, les personnes âgées, comme les petits enfants vivent très mal cet état de fait... L'hôpital a téléphoné... Il faut que j'aille dire au revoir à ma grand mère Nona... Tout à commencé ce matin, je me suis endormie vers 7h30, peut être plus tard je vous dirai pourquoi -la vie est bien étrange parfois- Trois heures plus tard, ma mère criait mon prénom dans le couloir. Sur le moment je n'ai pas répondu, je voulais qu'on me laisse dormir. Puis elle a crié plus fort et m'a dit "Scrib, c'est important, lève toi, je dois aller à l'hôpital !" Totalement réveillée je me suis levée en craignant le pire pour elle. S'était elle blessée ? Que se passait il ? "Nona vient d'être emmenée par les pompiers à la Salpetrière... Je l'ai trouvée sur le fauteuil, complètement comateuse, elle a pris un coup de chaud" Depuis, tout s'enchaîne... J'ai eu ma mère plus tard au téléphone, il parait que Nona a 41° de fièvre, a priori du à la déshydratation... On lui a fait un electro cardiogramme, une radio des poumons... Ma mère me dit "bon, tu déjeunes, tu trouves ce qu'il faut dans le frigo et si tu veux... Passe donc à l'hôpital au cas où tu devrais lui dire au revoir..." Là, j'ai compris que ça devenait soudain très (trop) sérieux... Et bêtement les nerfs ont lâchés. C'est con comme tout des nerfs qui lâchent, ça ne prévient pas et d'un coup on se met à sangloter... En fait, j'ai bien peur de pleurer sur ma lâcheté surtout... 

 

J'ai un mal infini à m'imaginer à l'hôpital, lui "dire au revoir"... J'ai pris mon téléphone et j'ai appelé mon père à la campagne. C'est fou, je n'avais pas entendu le son de sa voix depuis mai je crois... Il a été correct... Ca m'a fait un bien fou de l'entendre et de lui dire ce qui se passait... En raccrochant un autre téléphone a sonné. Une dame de l'hôpital. Je craignais d'entendre le pire, mais c'était pire que le pire en fait... La dame a voulu parler à ma mère, je lui ai dit qu'elle se trouvait sur place. Comme elle ne voulait rien me dire, j'ai insisté quelque peu... "Oui, votre grand mère va très mal, elle n'en a plus pour longtemps, c'est pour ça que j'appelle, pour vous prévenir." Science fiction... Je croyais qu'on ne recevait ce coup de fil que dans les films... "Drôle" d'impression... Je me sens impuissante, il y a mille entrées à la Salpetrière, laquelle emprunter ? Comment m'y rendre un dimanche de canicule où il n'y a presque pas de transport en commun ? Comment ma mère gère t elle tout ça ? Je pense à elle en écrivant. A elle qui va peut être bientôt perdre sa propre maman, cette maman avec qui elle avait tant de mal à dialoguer... Je pense à mon père aussi. Mon père qui va mal aussi, qui boit un peu trop pour oublier ce qui ne va pas. J'ai horriblement de mal à digérer toute cette détresse qui m'entoure... Et de nouveau je me prends à me trouver ordurièrement lâche ! Pourquoi je ne pense qu'à ma gueule dans ces cas là ? Comment se fait il que je n'arrive pas à passer le pas de ma porte pour me rendre à l'hôpital ??? Vais-je aller en enfer parce que je n'aurais pas dit "au revoir" ?

 

Je sais, pour avoir eu la dame de l'hôpital, que ma mère est en ce moment en train de vivre les derniers instants de sa mère. Je ne SUIS pas à ces côtés ! Je suis une lâcheuse, une merde, une naze, je sais que je vais me le faire payer... C'est sûr... Pff, je n'ai pas le 10eme du cran de ma mère. Elle, elle ne se pose pas d'état d'âmes, elle fait ce qu'il faut, quand il faut. Elle ne flanche jamais, ne vacille que quand elle s'octroit du temps pour ça. Elle est solide, forte, auréolée de courage ! Je me demande vraiment comment elle a fait pour engendrer une fille aussi pleutre et fragile... Je sais aussi que là, elle est en train de régler ses comptes de fille. Il le faut, il le faut ! Elles se sont tellement passées à côté toute leur vie, toutes les deux... Je prie le ciel qu'elles se réunissent enfin là, où je n'ai pas ma place finalement... Non, moi j'ai eu des rapports mitigés avec cette grand mère. J'ai beau fouiller, je n'arrive pas à trouver des moments où elle a été vraiment gentille et accueillante avec moi, avec mon grand père par contre, j'en ai des tonnes, de ces souvenirs qui font pleurer quand on y repense. Mais avec elle non... Je n'ai absolument aucune rancœur envers elle, loin de là et honnêtement j'aimerai vraiment qu'elle s'en sorte !! C'est juste qu'elle n'a jamais fait partie de ma vie émotionnelle c'est tout... Là, je me sens bizarre... Je suis soulagée de l'avoir vue tout de même avant hier et d'avoir été douce avec elle, même si, déjà, je me sentais inutile. Je m'en serais voulu de la quitter sur une éternelle dispute... Elle est petite, frêle mais si drôle, si teigneuse qu'elle en est touchante, c'est ma petite Tatie Danielle à moi, tout ce qui me reste d'aïeul, ma toute dernière grand mère, et non, je ne VEUX PAS qu'elle meure... :-(

 

Elle rêvait de mon grand père toutes les nuits, si par malheur elle venait réellement à partir, je sais qu'elle le retrouverait. Cela faisait si longtemps qu'elle disait qu'elle en avait marre de la vie... Et si finalement, c'était vrai ? Si vraiment elle était si fatiguée que cette fois elle ne voulait pas lutter ? Je ne sais plus quoi penser, tout s'entremêle, culpabilité, devoir, sollicitude, amour, pitié, et ce maudit téléphone qui ne veut pas sonner pour me DIRE ce qui se passe LA BAS...

 

14h31 : Elle est dans le coma... Yeux ouverts... Maman attends près d'elle...

14h47 : Je pars pour l'hôpital...

21h30 : Vacillante

Traumatisée par mon après midi, je vais faire court. La chaleur, l'émotion, tout s'est enchaîné à une vitesse trop rude pour la petite nature que je suis... Je me suis rendue à pieds aux urgences (j'ai marché plus d'une heure sous un soleil de plomb, dans une ville déserte comme dans un film de Far West...) Arrivée à l'hôpital, j'ai croisé un interne qui m'a emmené via des couloirs souterrains recouverts de tags jusqu'aux dites urgences... Là bas, c'est l'horreur absolue. Déjà que je n'arrive pas à regarder "Urgences" à la télé vous imaginez que j'étais blanche comme un linge en voyant ce déballage de misères physiques ! L'hypocondriaque finie que je suis n'a même pas le cran de regarder souffrir ses semblables... D'ailleurs on m'a demandé où j'avais mal sitôt arrivée (arf, je devais faire une de ces têtes !) Finalement, j'ai tenu bon et fait fi de l'odeur entêtante, c'est juste quand j'ai vu ma grand mère sur son lit de douleur, rigide, les yeux grands ouverts vers le plafond, si minuscule sous sa couverture de glace avec un air si triste plaqué sur son visage que je me suis effondrée en larmes. Voir ma mère qui s'occupait d'elle qui lui caressait la joue, mes jambes flageolaient, des nausées me prenaient et j'avais le souffle court. On m'a demandé de m'asseoir. Ballet d'infirmières, de médecins, d'aides soignantes... Elle n'a pas eu qu'un "coup de chaud", elle a eu un infarctus ! On l'emmène en cardio, l'ambulance arrive... Avec maman on suit... En cardio ils sont alarmés ! Elle ne s'en tirera pas, elle est "trop loin", "trop vieille", et en plus elle n'a pas eu qu'un infarctus, elle a eu une attaque cérébrale surtout ! "Je ne comprends pas qu'ils ne l'aient pas vu aux urgences ! On la transfère, il faut lui faire un scanner !" L'ambulance revient, on suit... Aller, retour... Maman dit stoïquement au cardiologues : "Elle a plus de 90 ans, elle n'aurait pas souhaité qu'on fasse d'elle un légume, s'il vous plait, pas d'acharnement thérapeutique". Je suis choquée par ce que je viens d'entendre. Ma mère se tourne vers moi et me dit : "voilà, très exactement que je veux que tu dises si pareil cas se produit pour moi." Je fonds en larmes dans ses bras, tout ça c'est trop tôt pour moi, je ne veux même pas entendre ! Mes jambes ne se calment pas, je tremble de partout, je hais les hôpitaux... Je n'ai rien avalé de la journée... Nous venons de rentrer, l'état de Nona est stationnaire, ma mère n'aura sans doute jamais le temps de la quitter gentiment en lui disant qu'elle l'aimait beaucoup. "Je ne veux pas la quitter sans qu'on se soit pardonnées, ça, ça serait trop dur"... Voilà ses mots et les premières larmes ont perlées à ses paupières...

 

Lundi 11 août, 10h55 

Bien que maman et moi avons dormi par intermittence dans la crainte d'entendre sonner le téléphone en pleine nuit, l'état de Nona est toujours stationnaire ce matin. Nous attendons... Nous ne faisons que ça. Dans cet état étrange qui nous fait entrevoir vaguement comme sera la vie "après elle"... Aux infos télévisées j'apprends que plus de 50 personnes âgées sont décédées ces derniers jours de la canicule en région parisienne. Je n'arrive pas à croire que Nona pourrait bientôt gonfler ce score pathétique...

 

... Pendant ce temps Mat veille sur moi...

 

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